La promeneuse de chiens





Buenos Aires est la capitale des chiens ! On compte environ un demi-million de chiens (450000 selon le recensement de 2021), ce qui signifie que 22% des ménages de Buenos Aires possèdent au moins un chien.

C’est pourquoi il n’est pas étrange de voir dans les rues de la capitale ces personnages typiques appelés « promeneurs de chiens ».

À Paris, en comparaison, seuls 9 % des ménages possèdent un chien, contre 22 % à Buenos Aires.

Il y a 2,3 fois plus de chiens par kilomètre carré à Buenos Aires.

À Paris, on ne voit les promeneurs que dans les bois de Vincennes ou de Boulogne, très rarement dans le centre-ville.

Véronique, promène ses (seulement !) 6 chiens dans la forêt de Vincennes

La proportion de chiens dans la capitale argentine est plus élevée dans la partie populaire du sud de la ville que dans la partie nord ou habitent les ménages les plus aisés : Par exemple, dans la commune 2 (Recoleta), seuls 10 % des ménages ont un chien, tandis que dans la commune 8 (Villa Lugano, Soldati et Riachuelo), une des plus pauvres, cette proportion atteint 44 % !

Source : Direction générale des statistiques et recensements, ministère des Finances et du Trésor GCBA, EAH 2018 Enquête annuelle auprès des ménages.

À Buenos Aires, le promeneur de chiens est une profession réglementée… bien que, selon une bonne habitude argentine, la réglementation ne soit pas totalement respectée. En particulier, il n’est pas permis de promener plus de 8 chiens par professionnel, mais beaucoup de promeneurs emmènent jusqu’à 12 chiens.

On estime 6000 le nombre de promeneurs dans la ville de Buenos Aires. Un de leur syndicat compte 1500 membres.


Les « caniparcs» ou chenils

Le gouvernement de la ville de Buenos Aires a fait du bien-être des chiens l’une de ses priorités.

On peut lire dans un document du gouvernement de la ville de Buenos Aires que « les animaux domestiques font partie de nos familles et c’est pourquoi nous voulons que votre animal puisse profiter de la ville avec vous.

Elle a, en particulier, investi des sommes considérables pour la reconstruction et la création de « parcs canins » appelés chenils (caniles) (440000 us$ en 2019). Les chenils sont des lieux de séjour exclusifs pour ces animaux de compagnie. Ces zones disposent de tout ce qui est nécessaire pour la récréation et la détente des animaux. Certains d’entre eux sont équipés de gazon synthétique et de jeux pour chiens. Le parc de La Paternal dispose de sols spécialement conçus pour absorber et filtrer les liquides sans provoquer de boue ou d’engorgement. . Il est équipé de toboggans et de tunnels canins et d’une signalisation comportant des recommandations sur les soins à apporter aux chiens

Source : Crónica 26-06-2018

La capitale compte une soixantaine de chenils. Par comparaison, à Paris même, il n’y a que quatre « cani parcs »et quatre autres dans la proche banlieue.

Dans le cadre d’une autre initiative, le gouvernement de la ville a réussi à obtenir de plus de 1800 restaurants qu’ils autorisent les chiens à rester aux tables extérieures. Il offre aux restaurateurs une formation et des kits comprenant des abreuvoirs et des crochets pour attacher les chiens. Les établissements participants sont identifiés comme des « établissements amis des animaux ».

Les crochets pour attacher les chiens

Parmi les autres initiatives du gouvernement de la capitale on peut citer des centres de vaccination mobiles et gratuits, la création d’une application gratuite  » BA Pets « contenant des informations très utiles pour les propriétaires de chiens.

Surprenantes initiatives ! La priorité donné aux chiens par le gouvernement de la capitale est-elle justifiée ? Est-elle raisonnable » ?

Pour un observateur extérieur habitant Paris, il est pour le moins étrange de voir un effort aussi considérable au profit des chiens dans une ville où le taux de pauvreté atteint 22 % de la population.


Verónica

Lors de mon dernier voyage, j’ai eu rendez-vous avec une excellente promeneuse de chiens, Verónica, dans le chenil de la Plaza Noruega. Je transcris ici l’essentiel de ses réponses, entrecoupées d’aboiements (ouah,ouah) et de « dialogues » entreVerónica et ses chiens.

Depuis combien de temps travaillez-vous en tant que promeneuse ?

« Je travaille avec des chiens depuis 20 ans. Une vie entière.

Je me lève à 4 heures du matin, je vis à Pilar (à 50 km de la capitale) et je travaille de 6 heures à 14h30. Je vais chercher les chiens à leur domicile, le client me les confie et lorsque j’ai fini de les promener, je les ramène à leur domicile où le client les reçoit ou bien ils me confient une clé pour que je puisse les déposer. Je travaille du lundi au vendredi. J’avais l’habitude de travailler le samedi mais je n’ai plus l’énergie ( « va là-bas, mon gros » ).

Je les amène au chenil, qui est un endroit où ils peuvent jouer, courir, boire de l’eau et où nous pouvons nous reposer.

Chenil de la Plaza Noruega

Comment avez-vous commencé à travailler ?

J’avais une voisine qui promenait des chiens et avait besoin de quelqu’un pour l’aider. Et comme j’aimais beaucoup les chiens, j’ai accepté.

La vérité est que j’ai toujours aimé les animaux. À la maison, j’ai huit chiens et trois chats. Je garde les chats dans ma chambre et les chiens dans le salon et dans le jardin. Pendant les vacances, je garde aussi des chiens chez moi comme une pension pour chiens. J’ai 4 enfants, (27,25,24 et 10 ans) tous les 4 ont grandi avec des chiens depuis leur naissance. Pour le plus jeune, j’ai travaillé avec des chiens jusqu’à ce que je sois enceinte de huit mois et demi, j’avais des chiens et du ventre (« Bicho soit tranquille »).

Est-ce qu’il n’est pas dangereux de promener 12 chiens en ville ?

Quand je marche dans la rue, en général, il n’y a pas de problème. Les chiens marchent tranquillement à côté de moi, le problème peut se poser si un autre chien aboie à proximité (« Akira, s’il te plaît »).

Je ne me fatigue pas des chiens, je me fatigue des gens. Les gens ne sont vraiment pas cool. Ils insultent les chiens, ils vous insultent parce que vous passez par là et qu’un chien les touche. Ou ils viennent avec des petits chiens et les jettent sur les miens. Et ils ne se rendent pas compte que s’ils lancent un chien dans une meute de 11 chiens, ils vont vouloir le dévorer. Mes chiens deviennent fous et ensuite ils ne veulent plus marcher.

Je suis tombé plusieurs fois et j’ai des problèmes de ménisques et de ligaments donc je porte des genouillères.

Le danger vient des gens. Il y a quelques mois, un de mes collègues a été renversé par une voiture. Le conducteur âgé de 80 ans était handicapé, avait eu 93 amendes et conduisait quand même. Au lieu de freiner, il a accéléré. Il a tué trois chiens. Il a dit « désolé, je n’avais pas réalisé » et maintenant il conduit à nouveau ! L’annoncer aux propriétaires a été terrible.

Parfois, les chiens se battent et si vous voulez les séparer, ils peuvent vous mordre, car ils ne se contrôlent pas.

Ici cette cicatrice est une marque de morsure et ici c’est la trace de trois dents. Un risque du métier, comme on dit.

Participez-vous à l’éducation des chiens ?

Oui, c’est comme élever des enfants. Il faut les gronder, parfois leur crier dessus… Ils m’obéissent plus qu’aux propriétaires. Ceux qui sont gâtés à la maison apprennent à obéir ici.

Quelles sont les caractéristiques de vos chiens ?

Chaque chien est différent et réagit d’une manière singulière… Par exemple, aujourd’hui, Hans s’est excité quand il m’a vue et a fait pipi. Il était heureux de sortir.

Il est très fougueux. Quand il n’aime pas un autre chien, il va au dessous et lui mord les pattes. Il marche avec moi depuis 7 mois

Akira, la préférée. Elle a été amenée de la campagne quand elle était bébé. Elle avait peur, je suis sûre qu’elle a été mal traitée.

Celui-ci est un peu agressif avec les autres chiens et je lui ai mis une muselière. S’il y a un Golden, il veut automatiquement le mordre. C’est parce que j’avais l’habitude de le promener avec un chien de cette race qui le « montait ». Il a été traumatisé !

Mais tous les chiens ne réagissent pas de la même manière. Il y a des chiens quand ils sont « montés »,rien ne se passe. Et il y en a d’autres qui n’aiment pas du tout ça.

Dixon est un amour. Elle joue avec tout le monde. Elle est très démonstrative. Quand elle n’aime pas quelque chose, ça se voit à sa tête.

Et Pepi est très affectueuse !

Les castrés sont les meilleurs, car ce sont les plus joueurs et les plus calmes.

Mes collègues ont également des chiens très expressifs.

MERCI BEAUCOUP VERONICA

L’Argentine : à la pointe du droit des animaux

Selon une enquête, 30 % des propriétaires considèrent leur chien comme un membre de la famille.

« Dans ma maison, nous sommes quatre, maman, papa, ma sœur et le chien », a répondu un garçon de cinq ans à l’agent recenseur qui lui demandait combien de membres composaient sa famille.

Et une dame, dans le même recensement, a demandé à être enregistrée comme une « famille multi-espèces » : « Nous sommes deux humains et quatre personnes inhumaines : trois chiens et un chat »

Source : El Clarin 21/05/2022.

Une telle réponse n’est pas surprenante dans un pays aussi « à la pointe » et aussi passionné par les animaux que l’Argentine… Et un peu surréaliste ! En 2015, juge Liberatori a reconnu pour la première fois au monde un animal, l’orang-outan Sandra, comme une « personne non humaine ». Un tribunal argentin a accordé à Sandra un habeas corpus, reconnaissant qu’elle était une « personne non humaine et un être sensible ». Elle a ordonné au zoo de Buenos Aires de la relâcher et son transfert au sanctuaire du Center of Great Apes en Floride.

Vous pouvez lire cette histoire passionnante dans elpais.com : Sandra, l’orang-outan qui est devenue une personne 23.06.2019

Pour le juge Liberatori, il serait intéressant d’inclure cette question dans le futur recensement : « Tout comme l’identité, on peut se percevoir comme une famille multi-espèces, ce qui permettrait de mettre en œuvre des politiques impliquant ces êtres sensibles que sont nos compagnons non-humains ».

Source : El Clarin 21/05/2022.

Le concept de la famille multi-espèces trouve son origine dans un jugement rendu par le juge pénal Dr Castro à Rawson, dans la province de Chubut (à 1700 km de Buenos Aires), le 10 juin 2021.

Un policier, dans l’exercice de ses fonctions de contrôle, a tiré sur la chienne locale, nommée Tita, avec son arme de service, causant sa mort. Le policier affirme que le chien est sorti pour le menacer et lui a mordu la jambe. Le juge a condamné l’officier à un an de prison avec sursis, plus deux ans d’interdiction d’exercer pour « abus d’autorité et dommages ».

Dans la sentence, le magistrat indique que « avec l’arme décrite, le Sergent Saavedra a tué Tita, la fille non humaine du couple formé par Mme et Mr Castillo ». À tout moment, il souligne que Mr Castillo a rempli le rôle d’un vrai père pour Tita.

Enfin, le juge conclut que « le décès de Tita a causé une perte irréparable pour sa famille, les témoignages de Mme et Mr Castillo ont montré l’intégration de Tita dans la vie familiale, la transformant en une FAMILLE MULTI-SPECES« .

« L’animal n’est plus une chose, mais un être sensible qui a le droit au respect de sa vie ».

Le sergent Saavedra a déclaré qu’il n’avait jamais voulu tuer le chien et qu’il regrettait énormément son geste. « Je ne suis pas un tueur de chiens, j’ai voulu seulement me défendre ». Le procureur général a souligné que ce « biocidio » ( tout acte qui implique la mort d’un animal sans raison, c’est un biocidio, c’est-à-dire un crime contre la vie ») a touché, non seulement la famille Castillo, mais aussi à l’État et à la société toute entière.

Surprenant pays où je découvre qu’au milieu des innombrables problèmes de tous ordres (pauvreté, insécurité, inflation, etc) qu’affronte le pays, il y a un domaine du droit ou il est à la pointe du progrès au niveau mondial et ou des « personnes non humaines » sont réellement des privilégiés

Note en bas de page : La sensibilité est un concept issu de la déclaration de Cambridge de 2012 selon laquelle les structures neurobiologiques qui font que les humains ressentent la douleur, la tristesse ou le bonheur sont les mêmes que celles qui font que les animaux ressentent la douleur, la tristesse ou le bonheur.

Je suis convaincu que la diffusion mondiale de ma chronique incitera des millions de « personnes non humaines de l’espèce chien » dans le monde, à migrer vers Buenos Aires, où une vie paradisiaque les attend, intégrés dans des familles aimantes, avec des promeneurs de chiens compétents, de splendides espaces de loisirs et une protection judiciaire unique au monde !

Et les chiens, qu’est-ce qu’ils en pensent ?

Je ne pouvais pas terminer cette chronique sans demander aux personnes concernées si elles sont heureuses de leur vie, surtout maintenant que j’ai pris conscience qu’elles sont des personnes non humaines et des êtres sensibles.

J’ai rassemblé les chiens dans le chenil et leur ai posé les questions suivantes :

Sont-ils très heureux ? Trois aboiements. Modérément heureux ? Deux aboiements. Malheureux ? Un aboiement.

Les résultats sont les suivants :

Trois aboiements : 85 %.

Deux aboiements : 7 %

Un aboiement : 5 %

Zéro aboiement : 3 %

Je ne savais pas comment interpréter les nombreux quatre, cinq ou plus aboiements

J’ai encore beaucoup de chemin à parcourir pour comprendre mes amis les chiens !

Pour terminer la chronique, je ne peux que vous souhaiter :

UNE VIE DE CHIEN… ARGENTIN !


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